dimanche 3 juillet 2011

Les Derniers Jours

Chapitre Deux (suite)

Un passage difficile


Depuis six jours que je suis là, je ne fais rien. Je vomis, je bave, je remplis les chiottes plus vite que mon estomac, mais à part ça, je ne fais rien. Le médecin ne m'inspire plus aucune confiance. Je sais que c'est le médecin de tous les employés de l'ambassade mais les pilules qu'il me fait avaler me conduisent directement à la mort.

- Ce n'est pas grave, m'a-t-il dit le premier soir, votre organisme doit s'habituer au climat du pays, ça arrive tout le temps avec les touristes.

Les touristes ? Pour venir faire du tourisme dans ce pays, il faut avoir perdu l'esprit. Avoir perdu l'esprit avant de partir, et être prêt à perdre la vie à peine arrivé. Ils m'avaient fait rencontrer l'attaché d'ambassade leïanais à Paris juste avant que je ne quitte la France. Un garçon sympathique pour qui Leïan était victime d'une réputation injuste. « Sincèrement, et je ne dis pas ça parce que c'est mon pays, mais Leïan est l'un des plus beaux endroits du Monde ». Et il avait ajouté croyant me faire plaisir : « avec la France bien sûr ! »

J'avais suivi pendant trois semaines des cours intensifs sur ce morceau de la planète, son histoire, sa culture, son peuple, mais aussi comment vivre dans la société leïanaise, comment éviter les ennuis, etc.

J'ai été malade tout de suite, dans l'avion j'ai senti l'abominable m'envahir, un sale goût dans la bouche qui n'était pas seulement dû au repas servi à vingt mille pieds d'altitude. Et puis à l'arrivée à l'aéroport international Naolis Magatt (du nom de celui qui chassa les anglais et devint le premier Président) j'ai failli m'évanouir. Heureusement qu'avec mon passeport diplomatique j'évite les formalités interminables des douanes locales. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais plus le pays est sans intérêt, plus les douaniers sont soupçonneux. « Il n'y a pas de pays sans intérêt, jeune Lillo » m'a dit un jour mon oncle ambassadeur alors que je lui faisais part de mes ambitions professionnelles et de mes craintes d'être nommé dans un endroit horrible. Mais mon oncle ne connaissait pas Leïan.

Le commandant Bariani est venu me chercher à l'aéroport, il m'a aussitôt fait peur, m'expliquant qu'il avait passé ses trois premières semaines ici à l'hôpital : « vraiment un mouroir ». Selon lui, j'avais quand même de la chance car depuis cette époque on avait trouvé un médecin formidable, un vrai docteur avec de vrais diplômes. Et c'est ce génie qui était en train de me tuer.

Après une première entrevue édifiante avec la Grande Catherine, je me suis installé dans le studio réservé pour moi dans le quartier des diplomates. C'est l'ancien appartement de mon prédécesseur, il a été refait à neuf à cause des morceaux de chair de cette malheureuse, éparpillés dans toutes les pièces, il paraît qu'il y en avait partout, on a retrouvé du sang sur tous les murs. J'imagine que trancher une tête doit salir beaucoup. Bariani ne s'est pas privé de me raconter l'histoire : « Moi je l'ai très peu connu la petite, elle était souvent malade, Madame l'ambassadrice a été très gentille avec elle, mais la petite elle ne voulait pas rentrer au pays, elle tenait à rester ici, elle avait un homme dans sa vie, un militaire léïanais. Et puis bon elle a été assassinée. Un crime crapuleux, c'est la version officielle, on a arrêté deux gars de la campagne et aussi sec on les a exécuté, les procès criminels dans le coin, ils sont plus rapides que les avions chasseurs de leur armée de l'air ! La famille de la petite a assisté à tout, le procès, l'exécution, etc. Elle n’était pas morte depuis trois semaines que les coupables étaient en Enfer. Et puis il y a eu cette rumeur sur son amant. Moi même je ne connais pas son nom. Madame l'ambassadrice, elle dit qu'il ne faut plus en parler. La petite, elle avait trente et un ans. »

C'est aussi mon âge. Je me dis que si quelqu'un voulait bien me trancher la tête, je n'aurais plus mon estomac qui se tourne dans tous les sens. Si la mort doit venir, autant éviter les souffrances.

Depuis six jours, je ne fais rien.

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