dimanche 24 juillet 2011

Les Derniers Jours

Chapitre 3 (suite)

Des murs et des étoiles

La ville est pleine de surprises, mes premières impressions sont balayées au fur et à mesure que John m'entraîne dans les rues de la capitale. Avoir un ami dans ces circonstances est plus qu'appréciable, c'est une bénédiction. Il parle la langue et connaît les bonnes places. Il était en Angleterre quand je suis arrivé. C'est moi qui l'ai accueilli à son retour.

Il est convaincu que j'aurai du mal à me plaire ici.

- Ici, il faut savoir renoncer à ce qui te paraît aller de soi chez toi. Le normal à Paris est le luxe à Leïan.

- Tu me prends pour une bourgeoise ? Je ne suis pas une amie de ta mère, je suis un guerrier, un combattant, j'ai fait la guerre.

John a aussi fait la guerre, il n'aime pas tellement en parler, je le charrie quand même.

- Et les femmes ?

Il éclate de rire.

- Voilà, ça c'est toi ! Tu vas être malheureux !

Nous passons nos dimanches à visiter les vieilles pierres. Le choc, ce furent les gamins par dizaines qui nous suivent, demandent et se battent pour rester le plus près possible de nous.

- Tu sais, je dois faire des rapports sur nos rencontres, à chaque fois que je te vois je dois écrire tout ce que tu m'a dis, tout ce que nous avons fait, etc. me dit-il.

- Moi, on ne me demande rien.

- Un cuisinier, un foutu cuisinier, que veux-tu qu'on te demande à part faire des gâteaux d'anniversaire ?

Je lui ai dit pour Anaïs et moi. Il a sourit.

- Elle n’était pas faite comme toi. Vous ne pouviez pas être ensemble. Trop de différences.

- Toi et moi on est bien amis.

- Oui, mais on ne vit pas ensemble.

John préfère l’amour des garçons, il sait que je préfère l’amour des filles mais il ne renoncera jamais.

- J'ai demandé un autre poste, m’annonce t-il lors de l’une de nos promenades d’avant le couvre-feu.

- Pour où ?

- Tokyo.

John et moi sommes amis d'enfance. Son père était ambassadeur de Grande Bretagne au Japon et mon oncle l'était aussi, mais pour la France. Après la mort de mes parents, j'ai été confié à mon oncle et ma tante, et j'ai vécu cinq années magnifiques dans ce pays extraordinaire. Je sais que John est comme moi, il rêve du Japon, il veut y vivre.

- Encore cinq ou six mois et je me pose là-bas. Tu sais j'ai envisagé de démissionner pour faire autre chose, je suis riche alors pourquoi continuer ?

- Pour servir ta reine.

- Dans deux mois j'ai trente-deux ans et je n'ai encore rien construit. A mon âge, mon grand-père avait fondé la Deanean Company, il dirigeait plus de cinq mille employés, il avait combattu avec Montgommery, il avait fait trois enfants à ma grand-mère…

- A mon âge, répondis-je, mon grand-père avait réussi à se faire jeter de partout, il buvait plus d'alcool en un jour qu'un régiment napoléonien en un mois et s'employait à faire des mômes dans tous les endroits de la Terre qui voulait bien l'accueillir !

- Tout le monde sait que tu es issu d'une famille de dégénérés.

Le soir, il y a peu à faire. Quelques endroits mais à vingt et une heures, c'est le couvre-feu.

dimanche 10 juillet 2011

Les Derniers Jours

CHAPITRE 3

Février

Journal de Ny Hallet

Tout brûle, tout ne peut que brûler. L'enfer est là, palpable contre moi et je l'embrasse. J'ai enjambé des corps vides de sang. J'ai pleuré pour les âmes des pauvres lutteurs, ceux qui désiraient mourir au lieu de renoncer. Et d'ailleurs je vais mourir aussi. Le couteau dans le ventre et les tripes dans la sciure de bois. Pourquoi les hommes se conduisent-ils ainsi ? Voler au secours des âmes perdues ? Qui viendra à mon secours ?

Du besoin et des larmes, j'entre dans la nuit des nouveaux conquérants, je suis un explorateur, et je connais déjà l'extraordinaire pays, mon pays. Je ferai don au monde de mon savoir. Du sable et les vagues violentes par dessus mon corps de marbre, rien de plus solide face aux mécréants, aux voleurs d'âme, aux voyeurs de la médiocrité. Je suis un guerrier de l'éternité, un voyageur sage. Je regarde et j'écoute, je goûte et je touche, toute la puanteur des rues de Leïan qui rentre dans mes narines comme un violeur d'honneur.

Qui saura sauver la terre de mes ancêtres ?

Et toutes les choses qui tournent dans ma tête, les convictions, j'ai parlé avec lui, le créateur, le sage parmi les fous, la lumière. Je suis la lumière. Les mots qu'il m'a dit sont les mots de la connaissance puisqu'il regarde tout, écoute tout, goûte et touche toutes les activités humaines. Il fait de moi son égal. Pas de plus noble destin. Mon amour, toi aussi tu savais quelle force déployer, quand faire et quand se taire, j'ai appris auprès de toi, tu m'as nourri et enseigné la vie. Les femmes d'ici perdent leur dignité, les hommes d'ici perdent leur honneur.

Pourquoi fuir la vérité et la lumière ?

Quand je marche dans les rues de ma ville je vois les mendiants qui s'allongent par terre pour quémander. C'est devant Dieu que l'on s'allonge, seulement devant Dieu. Je vois des femmes qui proposent leur corps pour quelques pièces, je vois la saleté et la misère, où sont les soldats de ma terre ? Où est leur fierté ? Il faut que quelqu'un les relève et leur montre le chemin de la vérité. Ce pays est devenu celui des charognards, il y a ceux qui exploitent la misère des autres et il y a ces autres, les gueux.

Ma terre est retombée au Moyen-Age, la drogue fait des hommes et des femmes des serviteurs, peut-être que nul ne peut être remis dans la lumière, peut-être faut-il détruire les générations perdues, ces fins de race immobiles qui ne savent même pas qu'ils sont déjà morts. Construire une nouvelle nation sur les fondements des premières générations, élever les enfants encore vierges de cette boue ignoble et les faire devenir des hommes et des femmes dignes d'un peuple choisi par Dieu.

Je suis prêt pour faire relever la tête et faire tomber celles qui ne peuvent être relevées.

Mon amour, tu voyages encore vers la chaleur quand moi, je vis dans la poussière. Au dessus de nos têtes les nuages se rejoignent, Dieu est en colère, nous avons trahi sa confiance, je suis prêt pour le sacrifice. Détruire puis construire. Des écoles et des temples, servir Dieu et la nouvelle Nation.

Ma terre redeviendra la terre des gens de DIEU.

dimanche 3 juillet 2011

Les Derniers Jours

Chapitre Deux (suite)

Un passage difficile


Depuis six jours que je suis là, je ne fais rien. Je vomis, je bave, je remplis les chiottes plus vite que mon estomac, mais à part ça, je ne fais rien. Le médecin ne m'inspire plus aucune confiance. Je sais que c'est le médecin de tous les employés de l'ambassade mais les pilules qu'il me fait avaler me conduisent directement à la mort.

- Ce n'est pas grave, m'a-t-il dit le premier soir, votre organisme doit s'habituer au climat du pays, ça arrive tout le temps avec les touristes.

Les touristes ? Pour venir faire du tourisme dans ce pays, il faut avoir perdu l'esprit. Avoir perdu l'esprit avant de partir, et être prêt à perdre la vie à peine arrivé. Ils m'avaient fait rencontrer l'attaché d'ambassade leïanais à Paris juste avant que je ne quitte la France. Un garçon sympathique pour qui Leïan était victime d'une réputation injuste. « Sincèrement, et je ne dis pas ça parce que c'est mon pays, mais Leïan est l'un des plus beaux endroits du Monde ». Et il avait ajouté croyant me faire plaisir : « avec la France bien sûr ! »

J'avais suivi pendant trois semaines des cours intensifs sur ce morceau de la planète, son histoire, sa culture, son peuple, mais aussi comment vivre dans la société leïanaise, comment éviter les ennuis, etc.

J'ai été malade tout de suite, dans l'avion j'ai senti l'abominable m'envahir, un sale goût dans la bouche qui n'était pas seulement dû au repas servi à vingt mille pieds d'altitude. Et puis à l'arrivée à l'aéroport international Naolis Magatt (du nom de celui qui chassa les anglais et devint le premier Président) j'ai failli m'évanouir. Heureusement qu'avec mon passeport diplomatique j'évite les formalités interminables des douanes locales. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais plus le pays est sans intérêt, plus les douaniers sont soupçonneux. « Il n'y a pas de pays sans intérêt, jeune Lillo » m'a dit un jour mon oncle ambassadeur alors que je lui faisais part de mes ambitions professionnelles et de mes craintes d'être nommé dans un endroit horrible. Mais mon oncle ne connaissait pas Leïan.

Le commandant Bariani est venu me chercher à l'aéroport, il m'a aussitôt fait peur, m'expliquant qu'il avait passé ses trois premières semaines ici à l'hôpital : « vraiment un mouroir ». Selon lui, j'avais quand même de la chance car depuis cette époque on avait trouvé un médecin formidable, un vrai docteur avec de vrais diplômes. Et c'est ce génie qui était en train de me tuer.

Après une première entrevue édifiante avec la Grande Catherine, je me suis installé dans le studio réservé pour moi dans le quartier des diplomates. C'est l'ancien appartement de mon prédécesseur, il a été refait à neuf à cause des morceaux de chair de cette malheureuse, éparpillés dans toutes les pièces, il paraît qu'il y en avait partout, on a retrouvé du sang sur tous les murs. J'imagine que trancher une tête doit salir beaucoup. Bariani ne s'est pas privé de me raconter l'histoire : « Moi je l'ai très peu connu la petite, elle était souvent malade, Madame l'ambassadrice a été très gentille avec elle, mais la petite elle ne voulait pas rentrer au pays, elle tenait à rester ici, elle avait un homme dans sa vie, un militaire léïanais. Et puis bon elle a été assassinée. Un crime crapuleux, c'est la version officielle, on a arrêté deux gars de la campagne et aussi sec on les a exécuté, les procès criminels dans le coin, ils sont plus rapides que les avions chasseurs de leur armée de l'air ! La famille de la petite a assisté à tout, le procès, l'exécution, etc. Elle n’était pas morte depuis trois semaines que les coupables étaient en Enfer. Et puis il y a eu cette rumeur sur son amant. Moi même je ne connais pas son nom. Madame l'ambassadrice, elle dit qu'il ne faut plus en parler. La petite, elle avait trente et un ans. »

C'est aussi mon âge. Je me dis que si quelqu'un voulait bien me trancher la tête, je n'aurais plus mon estomac qui se tourne dans tous les sens. Si la mort doit venir, autant éviter les souffrances.

Depuis six jours, je ne fais rien.